Détails de l'article
CONTEXTE
Henri Cartier-Bresson est un photographe, photojournaliste et dessinateur français né le 22 août 1908 à Chanteloup-en-Brie et mort le 3 août 2004 à Montjustin. Il est notamment connu pour avoir fondé, en 1947, l'agence coopérative "Magnum Photos" (avec Robert Capa, David Seymour, William Vandivert et George Rodger). Particulièrement reconnu pour ses reportages de rues et ses photographies dépeignant des aspects folkloriques ou signifiants de la vie quotidienne, Henri Cartier-Bresson a également réalisé de nombreuses photographies engagées, militantes, à partir des années 1930. Il avait pour habitude de ne jamais retravailler ses photos (pas de recadrage, aucune modification de luminosité, etc..). La photographie "Cell in a Model Prison in the U.S.A.", réalisée en 1975, est l’une des dernières du photographe. Il avait en effet décidé, à partir des années 1970, de ne plus se consacrer qu'au dessin. Cette photographie a été réalisée dans une prison américaine (au New Jersey) grâce à un appareil Leica. Le milieu carcéral n'était d'ailleurs pas inconnu à Henri Cartier-Bresson puisqu'il avait été fait prisonnier par les Allemands en 1939 peu après le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Toutefois parvenu à s'évader en 1943 pour rejoindre un mouvement de résistants communistes, cette expérience a profondément marqué le photographe.
PHOTOGRAPHIE
CADRAGE
La photographie est cadrée verticalement (format "portrait"). Ce cadre a ici été utilisé car il convient particulièrement pour les images d'action. Il offre plus de dynamisme à la photographie. Par ailleurs le cadrage vertical permet de créer un sentiment de proximité avec le sujet tout en éliminant tous les éléments hors-champs qui pourraient distraire le regard. En visualisant cette photographie (verticalement cadrée), le regard est porté du haut vers le bas ; notre intérêt est donc rapidement focalisé sur les actions du sujet au centre de l'image.
PROFONDEUR DE CHAMP
L'ensemble de la photographie est net. Le choix de cette forte profondeur de champ peut s'expliquer par le fait qu'elle permet de mettre en avant de fortes lignes de forces. Par ailleurs, ici, l’arrière-plan, net, n'empêche pas la lecture de la photographie ; le sujet reste évident. Il sert ici à supporter le sujet.
PLANS
Nous sommes en présence d'un "plan moyen". Le sujet est photographié en entier en incluant seulement une partie du décor. Ce plan permet de se rapprocher du sujet et d'en faire l'élément essentiel de la photographie. L'action qui se déroule est ainsi tout à fait visible. Au premier plan de cette photographie figurent le bras et la jambe d'un prisonnier et sa cellule. À l'arrière-plan il est possible de voir une autre cellule de prison et un mur cloisonnant la pièce. Cette analyse des plans est toutefois subjective car il est assez difficile de les déterminer clairement sur cette photographie.
COULEURS
Nous sommes en présence d'une photographie en noir et blanc. Ce choix peut d'une part s'expliquer par les habitudes du photographe. En effet, Henri Cartier-Bresson pratiquait très peu la photographie couleur (seulement par nécessité professionnelle). Selon lui, le noir et blanc est une technique photographique qui permettait plus facilement de "saisir l'instant". Au milieu du siècle, les pellicules couleur, beaucoup plus lentes, étaient dotées d'une piètre sensibilité. Elles étaient donc assez contraignantes pour les photographes de rue car elles rendaient difficile la réalisation d'instantanés dans des lieux peu ou mal éclairés. Par ailleurs, Henri Cartier-Bresson estimait que la photographie en noir et blanc permettait de retranscrire plus fidèlement la réalité que la photographie en couleur en raison du fait que les pellicules trichromes ne permettaient pas de traduire autant de nuances de valeurs que les pellicules "noir et blanc". Toutefois, au-delà des habitudes techniques du photographe, cet emploi du noir et blanc peut aussi n'être que le simple fruit d'une démarche artistique.
COMPOSITION INTERNE
LA RÈGLE DES TIERS
Henri Cartier-Bresson a pris quelques libertés avec la règle des tiers bien qu'il en respecte certains principes. Sur cette photographie, le poing et le pied du prisonnier sont parfaitement alignés avec la ligne verticale de gauche. Par ailleurs, la ligne verticale de droite est dans la continuité d'un des barreaux de sa cellule. Aucun élément n'est aligné aux lignes horizontales. Le poing et le pied du prisonnier se situent, à quelques centimètres près, au niveau des points forts des intersections. Sur cette photographie, il y a une opposition entre le tiers gauche (correspondant à la pièce où règne la liberté) et les deux tiers droite (correspondant aux cellules de prison où règne l'enfermement). Par ailleurs le corps du prisonnier épouse le tiers droit de la photographie tandis que son bras et sa jambe sont compris dans le tiers central. Cette liberté prise avec la règle des tiers n'est toutefois pas ici très dérangeante car elle n'empêche pas la lecture de l'image.
LE NOMBRE D'OR
Sur cette photographie, le poing du prisonnier est situé sur le centre de la spirale d'or et la courbe correspond à peu près à celle de son corps. Cette spirale d'or permet ici de guider le sens de lecture de l'image. Elle enveloppe le prisonnier et suit les courbures de son corps. Elle permet de rendre la photographie plus harmonieuse.
LES LIGNES DIRECTRICES
Nous pouvons noter, sur cette photographie, la présence de nombreuses lignes verticales évoquant une certaine sensation de rigidité. Une ligne horizontale vient toutefois à leur intersection pour évoquer un sentiment de calme. Cette présence dominante de lignes verticales associée à celle de la ligne horizontale donne un rythme statique à l'image. Toutefois celui-ci est contrebalancé par la présence de trois lignes obliques qui permettent de lui donner un rythme plus dynamique. Un point de fuite localisé au niveau de la cellule du prisonnier est créé par l'alignement de son bras et de sa jambe (obtention d'une forme pyramidale).
LA LUMIÈRE
Sur cette photographie, la lumière est artificielle. Nous sommes en présence d'une lumière douce et diffuse qui est suffisamment contrastée pour que toutes les parties de la photographie soient bien détaillées (bien que certaines zones telles que l'intérieur des cellules demeurent sombres).
NETTETÉ
La mise au point semble avoir été faite sur le poing du prisonnier.
ANGLE DE PRISE DE VUE
Sur cette photographie, l'angle de prise de vue est "normal", neutre. Elle a été prise à la hauteur du sujet. Cet angle permet ainsi de placer le prisonnier en situation d'égalité par rapport aux personnes visualisant la photographie.
AXE DE PRISE DE VUE
La photographie a été réalisée selon un axe "¾ face gauche". En effet, le sujet n'est pas complètement photographié de face ni de profil. Cet axe permet de donner une sensation de profondeur à la photographie. Par ailleurs, grâce aux contrastes produits par la lumière artificielle, cet axe permet de ne photographier que certains éléments du sujet (son bras et sa jambe) et non pas son entièreté.
ÉLÉMENTS DE DÉNOTATION
Nous pouvons voir, sur les ⅔ droit de la photographie, deux cellules de prison. Sur le tiers gauche de celle-ci figure le reste du bâtiment (le lieu de liberté où peuvent déambuler les gardiens de prison). À l'arrière-plan de la photographie, il est possible de voir un mur cloisonnant la pièce. Dans l'une des cellules de prison se tient un prisonnier. Les contrastes de la photographie ne permettent pas de visualiser son corps et ils cachent fortement son visage. Il est toutefois possible de visualiser l'un de ses bras et l'une de ses jambes. En effet, ces-derniers traversent les barreaux de sa cellule. Son bras et sa jambe sont tendus et son poing est serré. Comme évoqué précédemment dans l'analyse de la photographie : les couleurs dominantes sont le blanc et le noir et la lumière est artificielle, douce et diffuse. Les principaux contrastes qu'ils font ressortir se situent au niveau des cellules de prison. En effet, seuls les barreaux sont nettement visibles; ce qui se trouve en leur sein est occulté. L'axe de prise de vue ne fait d'ailleurs qu'accroître ce camouflage.
ÉLÉMENTS DE CONNOTATION
Le fait que le bras et la jambe du prisonnier soient tendus et que son poing soit serré laisse croire qu'il est en colère. Ces éléments semblent symboliser sa révolte voire même sa résistance. Son bras tendu de manière horizontale et son poing totalement fermé témoignent semblablement de son envie de frapper quelqu'un ou quelque chose. L'inclinaison de sa jambe et de son tibia laisse comprendre son souhait de sortir de la cellule. En effet, il arbore la posture de quelqu'un en train de marcher. Seuls les barreaux de sa cellule lui barrent le chemin. Étant donné les analyses techniques précédemment vues il semble désormais clair que le fait de cacher le visage du prisonnier dans l'ombre était un parti pris du photographe. Le prisonnier est donc anonyme. Ceci me laisse imaginer que ce dernier est en quelque sorte le porte-parole de tous les détenus de prison. On ne s'intéresse donc pas sur cette photographie au sort d'un seul prisonnier isolé mais bel et bien au sort de tous les individus enfermés en cellules. Le fait qu'un fort contraste figure au niveau de l'intérieur des cellules laisse par ailleurs suggérer que les détenus évoluent au sein de cellules très peu éclairées voire même sans fenêtres.
Sur cette photographie nous sommes en présence d'une synecdoque. En effet, c'est un procédé de rhétorique où l'on évoque quelque chose par une partie de la chose. Ici le bras et la jambe qui traversent les barreaux de la cellule de prison évoquent bel et bien le prisonnier lui-même. Nous sommes également en présence d'une métaphore. En montrant le bras et la jambe du prisonnier, le photographe crée la métaphore de la difficulté de vivre en prison.
Il y a une opposition entre le tiers gauche et les ⅔ droit de la photographie. En effet, sur les ⅔ droit figurent les deux cellules de prison symbolisant l'enferment, la peur, la mort. Au contraire, nous pouvons voir sur le tiers gauche de la photographie le reste du bâtiment qui symbolise quand à lui la liberté (le lieu où peuvent déambuler les gardiens de prison).
En Occident, le noir fait souvent échos à la tristesse, à la peur, au désespoir, à la mort. Il est également régulièrement associé à l'autorité, à la rigueur, à l'austérité. Le blanc quant à lui, est parfois associé à la spiritualité, à la réflexion, au retour aux sources. L'association de ces deux couleurs a donc une connotation rappelant le milieu carcéral. Il s'agit d'un lieu où sont détenues des personnes condamnées à une peine privative de liberté. Les prisons sont souvent associées à des milieux sombres, tristes, austères voire même lugubres. Elles représentent l'autorité et une certaine rigueur y est exercée. Elles sont également, pour les prisonniers, un lieu amenant à la réflexion, à la rédemption. Les prisons ont pour but de les ramener vers le "bien". Sur cette photographie, l'emploi du noir et du blanc permet donc, d'une certaine manière, de retranscrire l’atmosphère du lieu et d'accentuer son aspect poétique et sa puissance émotionnelle. Par ailleurs, l'emploi du noir et blanc permet d'aller à l'essentiel. Au contraire des couleurs qui peuvent détourner l'attention du sujet principal, le noir et le blanc invitent à porter son regard vers le centre émotionnel de la photographie. Le noir et blanc permet aussi de faire ressortir les contrastes de la photo et d'accentuer les lignes de forces. Grâce aux contrastes, le visage du prisonnier est d'ailleurs encore plus occulté qu'il ne l'aurait été en couleurs. Il permet également de donner une certaine dimension intemporelle à la photographie.
Le positionnement du bras et de la jambe du prisonnier laisse à penser que le photographe a créé une mise en scène. Le titre de la photographie "Cell in a Model Prison In The U.S.A" vient influencer notre perception de l'image. Il me semble totalement ironique. En effet, la prison au sein de laquelle évolue le prisonnier ne me paraît pas du tout être un "modèle". Les prisons aux U.S.A sont d'ailleurs reconnues pour être relativement "rudes". Le terme "modèle" peut toutefois avoir une signification divergente selon les points de vue. En effet, si l'on considère qu'une prison modèle est une prison où les prisonniers doivent être amenés à regretter amèrement leur liberté alors cette photographie représente bel et bien une prison "modèle". Au contraire, si l'on pense qu'une prison modèle est une prison où les prisonniers se doivent d'être convenablement traités alors le titre de la photographie devient rapidement ironique. Étant donné qu'Henri Cartier-Bresson a été fait prisonnier en 1939 et que son intérêt pour les photographies engagées et militantes s'accroissait à partir des années 1930, tout porte à croire que le photographe souhaitait surtout ici dénoncer le mauvais traitement des détenus en prison. Toutefois l'interprétation de la photographie est libre à chacun.
AVIS
Ce qui me paraît intéressant sur cette photographie est la mise en application des règles liées au nombre d’or mais aussi le fait qu’il y ait la présence d’une synecdoque. Par ailleurs, le titre de la photographie est intéressant car il influe notre perception de l’image.
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